Lorsque le personnage d’Emma, dans Madame Bovary se livre à des déclarations amoureuses ardentes, Rodolphe, son amant, accueille avec une dérision non dissimulée, ses paroles. Il considère ces jeux de langage, entendus des centaines de fois auparavant, comme émanant de l'éternelle monotonie des passions. Au-delà des mots, l'amour est décrit comme un sentiment insaisissable et la parole, nous dit Flaubert, comme « un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles ».
Grâce à un dispositif audiovisuel évocateur, l'exposition Faire danser les ours nous convie à arpenter les paysages de l'amour, cette expérience humaine universelle, à la fois intime, confidentielle, fragile. L'exposition prend la forme d'une installation polyphonique, organisée en strates successives, où les voix se répondent et s'entrecroisent. Il s'agit là d'un puzzle dont nous tenterions de recomposer les différents éléments constitutifs d'une relation amoureuse, les isolant les uns des autres pour en saisir toute la complexité. En jouant sur la réversibilité des points de vue au travers d'œuvres autobiographiques, fictionnelles et documentaires, Ninon Lacroix décrypte la réalité de l'expérience affective et la construction des récits qui en découlent. Au cœur de cette démarche, l'artiste met la lumière sur les mots d'enfants et le sérieux que l'amour revêt pour elles et eux.
Filant la métaphore entre l'amour et l'eau, sans forme fixe, fluide et changeant, Ninon Lacroix interroge la nature des sentiments en dehors des mots. Se laisser traverser par eux, comme l'eau, pourrait-il conduire à leur "vérité" ? L'exposition se révèle alors comme une plongée introspective, un décryptage de notre relation à l'autre. Les mots tendres, passionnés, ou parfois maladroits, se trouvent au cœur de la construction de nos histoires. En ce sens Faire danser les ours explore ce qui relie les âmes et dépeint la façon dont nous parvenons, même face aux limites du langage et à l'absence de récits partagés, à découvrir des liens invisibles qui nous unissent et nous animent au cœur de nos solitudes.
— Lena Peyrard
Ninon Lacroix (France) est lauréate de la Résidence C&D, résidence de création de la Fondation Culture & Diversité et de la Cité internationale des arts.
Durant ses quatre mois de résidence, l’artiste a bénéficié de l’accompagnement de Marion Zilio, puis de Lena Peyrard, toutes deux commissaires d’exposition indépendantes, membres de C-E-A.